Les volontés et les initiatives pullulent, en banlieue. Encore faut-il
vouloir les voir et les relayer. Après avoir évoqué les discriminations et tiré
quelque enseignement de leur dernier baromètre, tentative ici de
soutenir ce qui permettrait de déghettoïser nos banlieues, qui cumulent en
particulier les handicaps liés à l'origine –ethnique comme géographique.
En effet, le huitième "parlement des banlieues" se tiendra à Bondy, ce samedi 25 novembre. Après les doléances d'ACLEFEU et les rapports récemment remis sur la question, une nouvelle occasion sera donc offerte à la société française de savoir ce qui se ressent, se dit, s'écrit dans cette partie d'elle-même qu'elle ignore ou travestit. Une nouvelle occasion de se regarder en face, de manière dépassionnée, au-delà des angles sécuritaire ou maternels qui prévalent ici ou là. Une nouvelle occasion d'espérer.
Selon le Bondy-Blog, "Ce parlement vise à réunir des centaines d’acteurs de terrain de toute la France (animateurs, responsables associatifs, élus de quartiers…) pour débattre et proposer". Karim Zéribi, président fondateur d’APC, interviewé sur le Bondy-Blog, explique l'objectif de ce parlement ainsi : "redonner la parole aux habitants des quartiers populaires et faire en sorte qu’ils se réapproprient le débat qui les concerne. C’est une agora populaire qui doit favoriser la volonté de se prendre en main et d’être partie prenant dans les débats politiques de notre pays".
J'applaudis des deux mains ; encore plus fort lorsque je lis qu'est visé "un plan d’action concret pour restaurer des conditions de vie dignes dans les quartiers populaires"; je fais la hola en lisant que la journée de samedi verra les intervenants évoquer les questions très concrètes d'éducation, de logement, de sécurité et d’emploi ; puis une standing ovation au fait que "les propositions qui émaneront de ces rencontres seront portées au gouvernement, à l’opposition, aux syndicats et au MEDEF". Plus pratique, tu meurs ; ça change radicalement de doléances souvent idéologisées, peu lisibles, floues, mal hiérarchisées. Youpi.
Ségolène Royal (merci, Koz…), fraîchement adoubée par les militants PS, sera présente ce samedi à Bondy, pour la 3ème fois en moins de 7 mois… A ce propos, Karim Zéribi indique que " plus que des mots, ce sont des actes que nous jugerons". Après tant de paroles dans le vent, que dire d'autre ? Ce que je note, c'est qu'il semble que Ségolène est donc déjà considérée comme en position d'agir…
Avant d'en venir aux propositions du Parlement des banlieues de l'année dernière, je retiens, parmi les objectifs :
- Eradiquer l’inactivité, le chômage de masse (40%) et les phénomènes d’oisiveté qui nourrissent la désespérance pour faire le jeu de l’économie souterraine;
- Marquer une exigence forte dans le domaine de l’Education pour mettre chaque acteur, habitant des quartiers et parents en premier lieu, face à leurs responsabilités.
- Veiller à la mise en place d’une démarche de professionnalisation des acteurs publics (police, école, service public de l’emploi) et associatifs qui interviennent dans les quartiers.
- Clarifier la sémantique politico- médiatique pour éviter la stigmatisation et le renforcement des préjugés fondés sur l’origine ethnique des habitants des quartiers.
Je déplore qu'on vise encore, implicitement (c'est en tous
cas ce que je comprends, mais je suis peut-être obsédé) le "racailles"
de Sarko. Alors que la
bête immonde existe bel et bien et qu'elle doit être traquée, il me semble
inutile de ressortir les querelles sémantiques et de gloser sur d'hypothétiques
intentions cachées derrière des mots vagues, que chacun interprète comme il
peut/veut, ou comme ça l'arrange. Le débat devrait vraiment se situer
ailleurs…tant qu'on ne parle pas, pas exemple, de bruits
et d'odeurs. Mais bon, je ne vis pas en banlieue, et qui sait si je ne me serais pas senti visé (tout vierge de tout gène criminel sois-je).
Cela étant écrit, si j'avais trois mains, elles seraient toutes en action pour saluer les 3 premières propositions : angles concrets, opérationnels, visant en premier lieu à aider les habitants des banlieues à s'en sortir par eux-mêmes.
Ceci rejoint d'ailleurs une considération exprimée par un Bondynois dans un des premiers billets que j'ai lu lorsque j'ai découvert le Bondy Blog : "Il y a des banlieues beaucoup plus pourries en Europe, au sud de l'Italie, en Angleterre, en Allemagne. Et c'est ici que cela explose. C'est bizarre. Peut-être que cela n'est pas lié au niveau de misère, mais plutôt à ce que l'Etat promet aux gens? La France veut toujours être gentille, elle fait plein de promesses, non? Les autres pays ne promettent rien, alors les gens des banlieues n'attendent rien et se débrouille, sans se révolter" (l'intégralité du billet ici)…
Je me retrouve aussi, d'ailleurs, dans les réflexions d'un des journalistes suisses immergés à Bondy, le 5 janvier : "Dans la ville, cette affiche publicitaire vient de faire son apparition. Le conseil général de Seine-Saint-Denis invite la population à "exiger de l'Etat les moyens de vivre, travailler et s'épanouir". Et puis il y a cette devise "Egalité, Justice, Dignité". […] Je trouve que c'est beaucoup "exiger" de l'Etat. Déjà, ce mot -exiger- qui sonne à sens unique! Si on veut l'égalité, la justice, la dignité (on disait autrefois Liberté, Egalité, Fraternité), c'est un combat de chacun, pas un ticket gagnant que certains auraient le droit de faire valider au PMU étatique. Non? » (le billet est là).
Les propositions elles-mêmes du dernier parlement des banlieues sont au nombre de 19. Ce billet étant parti pour être vraiment trop long, je me contenterai de vous inviter à prêter une attention particulière aux propositions n° 1, 2, 3, 4, 8, 9, 10, 11, 14 et 19 et de réagir sur quelques-unes d'entre-elles :
10. Renforcer le régime de pénalisation pour non respect des dispositions de la loi SRU sur le logement social. Je ne serais pas allé jusqu'à la pénalisation, mais la loi SRU est exemple de "volontarisme républicain" bien fondé selon moi.
11. Imposer l’anonymat des demandeurs de logements dans les commissions d’attribution des Offices HLM, SA et SARL. Pourquoi pas, certainement plus praticable que le CV anonyme car –à ce que je sache-, un bail n'est pas vraiment un contrat intuitu personae : la condition déterminante du consentement du bailleur, ce sont les revenus du locataire, pas son nom ou sa couleur…
Jusqu'ici tout va bien, et si ce genre d'initiatives, si la promotion d'actions concrètes avance plus que la diffusion d'informations sur un pauvre bus cramé ou des doléances idéologisées, ça pourra aller encore mieux.
[EDIT : Ségolène Royal est donc intervenue en clôture du Parlement des banlieues. Et elle n'a apparemment rien dit de plus que son leitmotiv habituel : donnez moi des idées, je vous aime, Sarko est méchant. Désespérant. En tous cas elle est très novatrice : elle est le premier candidat de l'histoire de notre République pour lequel la campagne ne servira pas à convaincre sur un projet mais à s'en trouver un...]
Cher Charles,
Je te trouve un peu trop emerveillé par cette initiative et je pense que cela a pu nuire à ton sens critique.
Je comprends ton message qui consiste à dire qu'il y a des bonnes choses positives qui se font en banlieue qu'il faut relayer, plus que les bagnoles qui y crament. Très bien. Mais ensuite, je te propose de sortir du politiquement correct, d'ouvrir les yeux, et d'aiguiser ta plume.
1. "Le parlement des banlieues", voilà une action que tu nous ferais presque passer pour une formidable initiative de la société civile, etc. Hors la réalité est plus bcp traditionnelle : c'est une initiative qui sent très très fort les réseaux "Parti socialiste".
2. Cette initiative sent tellement les bonnes idées du PS qu'on retrouve le même bon vieux old style : incantation, sur-usage de symboles, et étatisme à papa.
Des exemples ? En voilà :
- incantations :
"redonner la parole aux habitants des quartiers populaires et faire en sorte qu’ils se réapproprient le débat qui les concerne." --> On dirait du Ségolène Royal tout frais sorti du PS ! C'est du pur blabla. On se croirait à un meeting du PS en 1995 !
"Eradiquer l’inactivité, le chômage de masse (40%) et les phénomènes d’oisiveté" --> Ho Ho Ho ! Voilà un constat que personne encore n'avait jamais fait. Que tous les gens contre cette idée inédite se lèvent !
"Marquer une exigence forte dans le domaine de l’Education pour mettre chaque acteur, habitant des quartiers et parents en premier lieu, face à leurs responsabilités." --> Mouarf, concrètement, ça se passe comment ? Ils proposent de couper les allocs quand les parents ont été convoqués 5 fois par la maitresse et ne sont jamais venus ? Ou ils proposent de nommer un médiateur qui va prendre contact avec le travailleur social qui va demander des fonds d'aide à la commune pour obtenir une cellule de soutien psychologique dans la MJC du coin ?
"Clarifier la sémantique politico- médiatique pour éviter la stigmatisation et le renforcement des préjugés fondés sur l’origine ethnique des habitants des quartiers." --> Alors, ça, c'est du total délire ! Est-ce qu'ils vont demander aussi aux rappeurs de ne plus mettre de casquette, des grosses gourmettes et des survet-basket, et de ne plus parler avec leurs mains ? Est-ce qu'ils proposent une loi aussi visant à établir le politiquement correct dans les médias et 3 ans d'emprisonnement pour les contrevenants ?
- sur-usage de symboles :
"les propositions qui émaneront de ces rencontres seront portées au gouvernement, à l’opposition, aux syndicats et au MEDEF".
Ooooooooooooh que c'est beau. C'est bien les enfants, vous aurez tous 20/20 en éducation civique !
Sérieusement, peut-on évoluer un peu et sortir des symboles et des gesticulations inutiles ? Où a-t-on vu qu'un rapport remis au MEDEF ou au gouvernemenr débouchait sur des actions concrètes dans les mois qui suivent ?
Il faut regarder par exemple ce que fait le groupe Averroés, d'Amirouche Laidi, qui milite pour la représentation des minorités visibles dans les médias (c'est eux qui ont poussé Roselmak sur TF1 cet été). Averroes fonctionne tel un groupe de pression, un lobby. Ils ont des objectifs et mettent en oeuvre des stratégies concrètes pour y arriver. Ils ne gesticulent pas avec des jolis symboles qui font super une fois au 20h (genre les doléances, on vous rejoue la Révolution, on a bien appris nos leçons) et que tout le monde oublie deux jours après, et où les résultats sont quasi nuls...
- le bon vieil étatisme à papa :
Et voilà comment on vous propose de créer plus de fonctionnaires et d'emplois publics (quand je dis que les socialistes ne sont pas loin derrière cette initiative. Charles André, vous qui insister constamment sur les problèmes de dette publique, pourquoi cela ne vous fait pas sauter au plafond ?
"14. Mettre en place un système de primes et de bonification salariale pour les agents des services publics (Education, Police Nationale, Services Public de l’Emploi…) intervenants en zones sensibles ;
15. Intégrer dans le cadre statutaire de la Fonction Publique Territoriale les animateurs sociaux des structures associatives subventionnées agissant dans le domaine de l’Education, de l’accès à l’Emploi, de la prévention de la délinquance ou de la médiation. Processus de validation des acquis de l’expérience et cursus de formation obligatoires pour intégrer ce nouveau statut.
Mais c'est génial, ce sont exactement les recettes mises en place depuis 25 ans : emplois publics, primes, et douches de subventions. Merci, on voit les résultats depuis quelques temps de ces formidables politiques...
Pourtant le problème est clair : c'est le chômage. C'est le point le plus important à régler en banlieue. Une fois que les jeunes auront des vrais emplois (pas des emplois charitablement subventionnés), des vrais opportunnités de carrière, des vrais possibilités de financement de projets d'entreprise, les choses iront déjà bcp mieux en banlieue.
Le seul et unique objectif devrait être de réfléchir à comment faire pour que les familles pauvres de banlieue deviennent des classes moyennes - sans que l'Etat est besoin de les doucher de subventions publiques... ? Voilà une piste qui ne demande que des solutions concrètes. Pas des incantations, des symboles, et du bon vieil étatisme socialiste à papa.
Rédigé par : Jules | 25/11/2006 à 20:28
Jules,
Si tu avais bien lu mon billet, tu aurais remarqué que je ne mentionne pas la proposition n°15. J'ai eu la même réaction que toi sur un certain nombre des propositions mais j'avais décidé de me focaliser sur ce que j'estimais positif. Sinon j'aurais fait un billet trois fois plus long...
Jules, éradiquer le chômage de masse est leur premier objectif, et dans les mesures -que je t'invite à lire-, il n'y a vraiment pas tant d'étatisme que ça. C'est ce progrès, par rapport à tout ce que j'ai pu lire ailleurs sur le même sujet, que je souligne.
C'est marrant, tu te focalises sur les objectifs (par nature vagues), et sur 2 propositions effectivement étatistes, le reste tu n'en souffles mot. Que dis tu, par exemple, de ça :
8. Développer la mise en place de Bus d’aides à la création d’entreprises qui sillonneraient les quartiers pour conseiller et faciliter l’aboutissement de projets économiques et faire naître un esprit d’initiative auprès des habitants des cités.
Ne tombe pas dans ta propre caricature : oui, il faut attirer les meilleurs agents publics dans ces zones difficiles. Quitte à faire des économies ailleurs. Pour qu'une classe moyenne émerge en banlieue, il faudrait avant tout des écoles dignes de ce nom là-bas. Donc rendre les postes plus incitatifs qu'ils ne sont aujourd'hui, où les profs sont majoritairement frâichement sortis de l'IUFM et se barrent dès qu'ils peuvent.
Mais peut-être estimes tu que c'est de l'étatisme socialiste que de considérer que quasiment tout se joue à l'école. Et que l'école de l'égalité des chances est avant tout l'école publique...
Avoir des convictions, Jules, n'empêche pas de regarder la réalité telle qu'elle est.
Rédigé par : Charles André | 27/11/2006 à 10:25
Charles,
Je reconnais que tu fais preuve de bonne volonté à vouloir aller chercher la bonne idée dans les interstices d'un plan avec 90 % de recettes étatistes bien comme il faut.
D'ailleurs, le pacte de l'emploi de Ségo à Bondy ne parle que de subventions et d'emplois aidés...
http://tinyurl.com/yjoh65
Rédigé par : Jules | 27/11/2006 à 20:05